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22.04.2013

Vol Solitaire

La formation d’un pilote passe par plusieurs étapes. Elle commence par quelques vols en double commande, avec un instructeur. Après une dizaine d’heures cumulées, l’élève peut commencer à piloter seul. Il reste supervisé par radio par son instructeur qui reste au sol. Enfin, après quelques vols de confirmation dans les environs de l’aéroport de départ, l’élève peut prétendre partir au-delà de l’horizon pour de petites navigations.
Elève-pilote en janvier 2011, ce petit récit raconte ma première navigation, seul à bord.


Météo France prévoit un temps clément. En effet, à l’aéroport, le ciel est dégagé. Cependant on voit se profiler au nord une formation de nuages de type cumulus. Sinon, rien à signaler, RAS, comme on dit dans le jargon.

Briefing rapide avec le chef pilote. Au menu : décollage, cap plein nord destination l’Ile Vierge. Suivi de la côte jusqu’au Conquet. Puis direction est pour un retour à Brest. Une heure et demie de vol environ.

Je fais le tour de l’« Aquila », avion monomoteur biplace aux ailes basses et à pas d’hélice variable. Je vérifie que tout soit en place, c’est ce qu’on appelle la check-list « prévol ». Les ¾ de plein de kérosène me garantissent trois heures de vols, ce qui suffit largement.
Je m’installe dans le cockpit et entame la check-list de mise en route moteur. Celui-ci s’allume sans broncher. Contact avec la tour :
« - Brest tour de Fox Alpha Golf, un Aquila au parking pour un vol local.
- Après Charlie Tango, roulez point d’arrêt Echo, Alpha Golf. »

Je peux alors lancer l’avion sur le taxiway vers le point Echo qui borde la piste. J’y suis en quelques minutes, vérifie les paramètres moteur puis prépare l’appareil pour le décollage. Enfin l’avion est prêt. Je contacte la tour :
« - Fox Alpha Golf au point Echo, prêt.
- Alpha Golf, autorisé alignement et décollage. »

D’une petite pression sur la manette des gaz, je pousse l’avion sur la piste. Me voici aligné sur la ligne blanche. Je me sens ridiculement petit dans mon minuscule biplace sur cette piste immense, dimensionnée pour les gros avions de ligne.

Une ultime vérification avant le décollage : pompe carburant sur « on », volets sortis en position décollage, hélice au plein petit pas, paramètres moteur dans le vert, piste dégagée. RAS. Progressivement, je pousse la manette des gaz à fond. Comme libérés, les 110 chevaux moteurs lancent l’appareil à l’assaut du bitume. Les pointillés blancs qui matérialisent l’axe de piste défilent de plus en plus vite. Avec les palonniers je m’efforce de garder aligné le petit avion fragile, ballotté par le vent et le couple moteur. 55 nœuds…L’avion vibre de toutes parts. Je tire légèrement sur le manche…Doucement, les roues quittent la piste. L’avion devient soudainement calme. Le variomètre, positif, indique une vitesse verticale en montée, et la rotation de l’altimètre s’est amorcée. J’ai décollé.

A 500 pieds du sol, pour ne pas encombrer l’axe de piste, je rentre les volets et prends directement mon cap plein nord, toujours en montée. Le sol se fait de plus en plus lointain. Je monte et stabilise l’avion à 2000 pieds. Enfin tranquille, je prends quelques minutes pour contempler les champs qui se déroulent rapidement sous mes ailes, tandis que devant moi, encore lointaine, la mer grossit.
La trêve est de courte durée. Sans prévenir, l’avion est violemment secoué par des turbulences. Le cockpit est baigné d’une lueur sombre et menaçante. Je lève la tête et réalise que je me trouve juste à la base des cumulus observés en arrivant. Je les vois comme de monstrueuses boules de cotons, m’empêtrant dans leurs filaments pluvieux. Je redescends à 1500 pieds pour échapper aux éléments.

Passé le champ de cumulus, me voici à nouveau stable sous la lumière rassurante du soleil. Au bout d’une quinzaine de minutes, je survole la mer. Solitaire, le phare de l’Ile Vierge fait face aux éléments. Il est superbe, bordé d’écume et auréolé d’un cercle de mouettes. Je lance l’avion dans un virage à 360° autour du phare, pour le saluer.
Puis je poursuis ma route. Je survole la mer et la côte morcelée défile sous mon aile gauche. Ce sont tantôt des falaises, tantôt de longues langues de sables sur lesquelles la marée s’amuse à dessiner des formes à la fois belles et fantaisistes.

Après une vingtaine de minutes, j’aperçois l’île d’Ouessant, lointaine, sur ma droite. Sur ma gauche se trouve la petite ville du Conquet. Je vois l’église et reconnais son petit port. Je distingue les chalutiers qui appareillent pour la haute mer, et les navettes pour les îles perdues. Ici, c’est le bout du monde.

J’encercle le Conquet pour prendre mon cap est de retour. La mer est dernière moi et me voici de nouveau de retour au-dessus des champs. La visibilité est tombée. Je navigue à la boussole, cheminant de village en village. Me voici finalement en vue de l’aéroport, encore lointain. La piste en service étant orientée vers l’est, j’opte pour une « longue finale ». Cela consiste à atterrir directement sur la piste plutôt que d’en faire le tour, comme c’est généralement l’usage.
« - Brest tour, Fox Alpha Golf, 30 km à l’Ouest de vos installations, 1500 pieds, pour un complet.
- Alpha Golf, identifié radar, pas de trafic, autorisé atterrissage piste zéro huit, numéro un. »

Je dois maintenant faire appel à toutes mes ressources mentales pour l’atterrissage. Progressivement, je sors les volets, décélère l’avion et le mets en descente, hélice au petit pas. Le seuil de piste se rapproche rapidement. Je fais voler mon avion de travers pour éviter la dérive due au vent de côté. 500 pieds. Je m’efforce de tenir l’axe malgré les rafales de vent qui m’envoient valser vers le sud. 60 nœuds, 50 pieds…Le sol défile à toute allure. Enfin, me voilà au-dessus de la piste, à moins de 10 pieds. Je coupe les gaz, ramène le nez de l’avion dans l’axe et tire doucement sur le manche. Pendant quelques secondes, l’appareil se cabre légèrement, hésitant. Puis, brutalement, le train principal embrasse le sol. Je laisse volontairement la roulette avant en l’air, pour l’esthétique, mais aussi pour éviter de l’abimer par un choc trop violent. L’avion continue sa course durant quelques secondes dans cette position, mis roulant, mis volant. Puis je baisse la roulette et actionne progressivement les freins. L’appareil décélère. La vitesse est stable, je laisse rouler doucement afin de rejoindre le taxiway. Une minute plus tard, je suis au parking. Je déroule la check-list, quitte la radio, coupe les contacts. C’est la fin du vol.

En fait, ce vol n’a rien d’exceptionnel. J’imagine les « vieux de la vieille », les pilotes de métier, me lisant et pensant : « et alors ? » C’est certes un vol comme un autre, standard. En réalité, c’est plutôt le fait de voler qui est exceptionnel. C’est une chance. Cependant, contrairement aux idées reçues, cette activité n’est pas réservée à une caste, mais à quiconque possédant un minimum de motivation. Donc, vous qui me lisez, jeunes ou moins jeunes, ne laissez pas passer cette opportunité qui vous permettra de redécouvrir le monde du plus beau des points de vue : le ciel.


François de MÉGILLE
Promo 2006
Le phare de l'Ile Vierge
Le phare de l’Ile Vierge