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24.06.2015

Luthier, un métier qui fait vibrer !

Cher ancien, cher futur ancien... Cette fois-ci, c’est vers la musique que nous allons tourner nos regards. Tu as de la chance, ton ancien camarade Roland Houël (promo 2004) m’a accordé une petite interview dans laquelle il me raconte son métier hors du commun : la lutherie !

Arnaud. Bonjour Roland, pourriez-vous brièvement commencer par nous décrire votre passage à Stan ?
Roland. Bonjour Arnaud ! Mon passage par Stan a été somme toute assez bref, même si j’en garde un excellent souvenir. Je suis arrivé en troisième et j’y ai passé les trois meilleures années de ma scolarité, dont deux ans à l’internat du Lycée. C’était vraiment une belle période de ma vie. J’ai quitté Stan car il était difficile de concilier une scolarité là-bas avec une formation musicale plus poussée. J’ai donc passé mon bac en 2004, au sein d’une autre structure.

A. Vous êtes donc musicien ? Comment vous est venue cette « vocation » de luthier ?
R. En effet, je suis violoniste. Je suis loin d’avoir un niveau professionnel, mais j’essaye de me maintenir un niveau convenable, nécessaire pour pouvoir tester en détail mes instruments. À Stan, j’étais attiré par les métiers d’art d’une manière générale. La beauté du geste me fascinait, tout comme la capacité qu’ont les artisans d’art, à partir d’un matériau brut, à produire un objet qui suscite l’émotion. Passionné par la musique et par les instruments anciens, la lutherie s’est en fait un peu imposée à moi. Pendant mes années à Stan, j’ai passé beaucoup de temps rue de Rome où j’ai pu rencontrer le luthier Bernard Sabatier qui m’a beaucoup aidé. C’est chez lui que j’ai fait mes premiers « copeaux » ! Je suis d’une famille plutôt scientifique : mon père est passé par Stan, il est centralien. Mon frère aîné est également passé par Stan, et il est polytechnicien. Mon frère cadet sort de l’École de Mines de Paris… Il était important pour mes parents de savoir si j’étais vraiment fait pour cela, avant de m’engager sur une voie qui pouvait être sans issue. Ils sont allés voir un luthier que je fréquentais qui les a visiblement rassurés !

A. Comment devient-on luthier aujourd’hui ?
R. Il n’y a plus qu’une seule école de lutherie en France. À l’époque, on entrait sur concours, et il fallait avoir des connaissances, un minimum de savoir, quelques premiers contacts avec la lutherie car les tests d’entrée étaient plutôt poussés. L’école se fait en trois ans. Si l’on fabrique quelques instruments pendant ces années d’apprentissage, on ne peut pas vraiment dire en sortant que l’on sait faire un violon : il reste encore tant à apprendre ! Non, on apprend plutôt les bases : étapes du travail, comment tenir ses outils, etc... Ce n’est qu’après plusieurs années passées dans de grandes maisons de lutherie que l’on peut vraiment prétendre savoir fabriquer un violon qui sonne, le régler et que l’on apprend à goûter et mémoriser un timbre. Ce n’est qu’au contact des instruments des grands maîtres du passé que l’on peut acquérir une certaine maturité dans son travail.
Ce qui m’a vraiment lancé dans ma carrière de luthier, c’est mon « projet » de troisième année à l’école de lutherie. C’est une espèce de petit mémoire pour lequel on doit copier un instrument d’un auteur de son choix. Le projet technique s’accompagne d’une dimension culturelle : recherches poussées sur l’auteur, sur le contexte historique et musical de la création... La question à laquelle j’ai essayé de répondre était : à quoi ressemblaient les premiers violoncelles ? Le premier luthier dont on a conservé des instruments est Andrea Amati (1505-1577). On a plusieurs violoncelles de lui, construits pour la cour de Charles IX et peints aux armes du souverain, mais ils ont été complètement recoupés et modifiés. J’ai envisagé mon travail comme une sorte de challenge : plutôt que de copier « simplement » un instrument existant, j’ai voulu tenter de reconstituer l’un de ces violoncelles comme à l’origine. Pour cela, j’ai analysé les restes des peintures et les contours des formes recoupées à la lumière des proportions en usage à la Renaissance pour tout reconstituer. Ce projet, jugé trop ambitieux, a failli être refusé par mon école. Il m’a finalement ouvert plein de portes et m’a permis de travailler dans des ateliers prestigieux à Lyon, puis à Vienne en Autriche où l’on m’a donné la responsabilité de chef d’atelier avant que je choisisse de faire le pas de m’installer à mon compte.

A. Qu’avez-vous retiré de votre passage à Stan ?
R. L’esprit structuré et scientifique que m’ont inculqué mes années à Stan m’ont beaucoup servi pour ce projet, et me servent encore. J’ai passé le bac scientifique. La lutherie fait appel à plusieurs disciplines scientifiques : l’acoustique, bien sûr, permet d’appréhender les mécanismes de fonctionnement du violon et de remettre à leurs places les mythes qui circulent autour de l’instrument, mais il y a aussi la chimie qui intervient dans l’élaboration des vernis et des pigments et la géométrie dans le dessin des formes. La science ne fait pas tout, et ce métier demande aussi une formation de la sensibilité et d’une certaine personnalité artistique que l’on acquiert par l’étude des maîtres qui nous précèdent… un peu d’histoire donc ! La lutherie est vraiment un métier très complet, c’est passionnant !

A. Avez-vous une spécialité, une marque de fabrique dans vos travaux ?
R. Je suis spécialisé notamment dans la haute restauration, domaine dans lequel j’ai peu de concurrents français. C’est d’ailleurs surtout pour cette spécialité que je suis connu aujourd’hui. Ce sont des travaux de longue haleine réalisés sur des instruments de très grande valeur. Il m’est arrivé de travailler un an sur un violon ! Ce sont le plus souvent des travaux qui s’étalent sur quatre à six mois. Dans ce cadre, je travaille en tant que sous-traitant de grandes maisons à Londres, en Allemagne et en Autriche. Souvent, ce sont des instruments achetés aux enchères, abîmés ou défigurés par de mauvaises restaurations. Mon intervention consiste à leur redonner leur aspect d’origine, et les faire « sonner », c’est à dire de retrouver leur qualité de son d’origine. Les instruments sur lesquels je travaille peuvent atteindre des prix de vente de l’ordre d’une dizaine de millions d’euros.
Une deuxième partie de mon activité est la création. Ce type d’activité met quelques années à se mettre en place, car il faut se faire connaître dans un milieu où l’offre dépasse la demande... Un violon de luthier est assez cher et se destine donc à une clientèle de professionnels ou d’amateurs de haut niveau. Malheureusement cette clientèle, déjà réduite, préfère souvent (à tort !) investir dans un instrument ancien.


A. Vous avez choisi de vous installer à la campagne, loin de tout ?
R. En France, les luthiers n’ont pas beaucoup de choix : il n’y a quasiment pas d’autres pôles culturels que la capitale. En dehors de Paris, on est catalogué péjorativement comme « luthier de province », et condamné à louer des instruments chinois... Je caricature à peine ! J’ai malgré tout choisi la campagne pour le calme et la tranquillité qu’on y trouve. Je pense que travailler à Paris ne permet pas de fournir un travail d’aussi bonne qualité que dans un atelier retiré comme le mien : on est sans cesse dérangé par les clients et continuellement stressé. Or, mon activité de restauration tout comme la fabrication demande une extrême minutie qui suppose une grande concentration. Pour pallier à mon isolement, je me déplace très souvent à Paris ou à Vienne où j’ai travaillé pendant plusieurs années. Très peu de clients passent la porte de mon atelier et je les reçois uniquement sur rendez-vous. Être à la campagne me permet d’avoir un grand atelier et me laisse la place et le temps de développer mes techniques de restauration et d’améliorer mes instruments neufs. C’est aussi une qualité de vie que je ne lâcherais pour rien au monde !

A. Quels sont les atouts des violons que vous proposez ?
R. Comme je le disais en réponse à votre dernière question, j’ai la chance d’avoir le temps de travailler au développement de mes instruments tant au niveau de la sonorité que de l’esthétique. Par exemple, en ce moment, je fais beaucoup d’expérimentations sur les pigments et sur mon vernis qui doit apporter la meilleure protection possible à l’instrument sans nuire à sa sonorité. Je fabrique mon vernis de manière artisanale, et je cherche à m’approcher des vernis des maîtres italiens des XVIIe et XVIIIe siècles. Au cours de mon parcours et principalement lorsque j’étais chef d’atelier à Vienne, j’ai eu la chance de pouvoir travailler pour de grands musiciens, c’est très formateur ! Cela me permet aujourd’hui de construire des outils qui conviennent aux plus exigeants. De plus, à travers la restauration, j’ai le privilège d’être en contact quotidien avec les instruments des plus grands maîtres que je restaure et que j’étudie. C’est une formidable source d’inspiration et une école pour moi. Je crois que cela transparaît dans mes instruments neufs.
Je construis des instruments en copie d’anciens, avec un vernis patiné, car les clients ne veulent plus d’un instrument sans caractère, fait avec un vernis plein. Cela met mieux en valeur le galbe de l’instrument et cela rassure un musicien qui est encore très attaché à l’ancien. Il y a aussi un phénomène de mode : notre profession n’échappe pas à cela et il faut être constamment à l’affût de ce qui plaît et qui répond le mieux à la manière de jouer du moment. Ma grande mobilité aide beaucoup à cela.

A. Le mot de la fin ?
R. J’ai eu beaucoup de chance : sur l’ensemble de ma promotion de l’école de lutherie nous ne sommes plus que quatre à vivre vraiment de la lutherie... Le métier est très dur, et je ne vous cache pas qu’il m’est arrivé d’avoir des découragements, des doutes et de regretter un peu de ne pas être resté dans le moule familial. Mais j’ai eu la chance de grandir dans une famille exigeante, et d’avoir eu au préalable des formations telles que celle de Stan, beaucoup plus solide que ce qu’avaient pu avoir certains de mes camarades. Cela m’a donné des outils pour analyser les situations, ne pas voir les choses avec naïveté. Cela m’a donné une aptitude à apprendre, imaginer des nouvelles techniques. Ce qui aide, c’est que c’est une passion. Soyez des battants !

A. Au nom de tous les élèves de Stan, merci ! Bon vent – bonnes cordes, devrais-je dire – pour la suite !

Arnaud de RUFFRAY
Promo 2008