Un ancien de Stanislas tente la traversée de la Manche à la nage en relais

Considérée comme l’Everest de la natation, la traversée de la Manche à la nage n’est pas un défi à prendre à la légère. Elle voit chaque année un taux d’échec d’environ 66%. Ceux qui souhaitent se mesurer à ce défi centenaire devront nager pendant plus de cinquante kilomètres, soit environ 15 à 20 heures dans de l’eau à 16° sans combinaison, et généralement de nuit. En effet, les nageurs ont pour seul équipement autorisé : un slip de bain, un bonnet et une paire de lunette. Rajoutez un seul élément, et votre traversée ne sera pas validée par la CSA (association encadrant la traversée).
Composée de cinq nageurs amateurs, la « jellyfish team » a tenté de relever le défi en juillet dernier.
La préparation
Puisque relier deux pays historiquement rivaux ne pourrait se faire sans difficulté, l’entraînement se doit d’être à la hauteur de l’enjeu : douches froides de dix minutes tous les matins, deux sessions en piscine (à Stanislas) chaque semaine et deux sessions en eau libre à Dieppe tous les week-end dans de l’eau à 16°. Le défi est triple : surmonter la « barrière du froid », qui est la cause de 80% des abandons, travailler sa résistance physique, mais aussi et surtout travailler sa résilience mentale.
La cause
Ce challenge un peu fou, nous avons choisi de le faire pour les Sauveteurs en Mer (S.N.S.M) qui sauvent chaque année plusieurs centaines de vie en reposant quasi-uniquement sur des dons privés. Le jour du grand départ, nous avions levé 6500 € pour leur cause, dont un tiers des donations provenaient d’anciens élèves de notre établissement. Cette mobilisation prouve une nouvelle fois la force de notre communauté. Merci à tous les donateurs.
Le Jour J
Nous sommes mercredi 30 Juillet 2014. Les conditions ne sont pas bonnes, nous attendons à Douvres (Royaume-Uni) depuis une semaine. Le pilote qui nous accompagne entrevoit une traversée risquée, mais possible si nous parvenons à nager vite. Il est 16 heures, Hannah Bennett entame le relais à Shakespeare Beach, Douvres. Quelques heures seulement après le début de la nage, les premiers signes de mauvaises conditions se font sentir : des courants excessivement forts, un banc de plusieurs centaines de méduses que Hannah traverse courageusement tête la première, une eau à 15° pourtant prévue à 16 / 17°… Notre pilote exprime ses premières inquiétudes. Plus de temps à perdre, nous devons aller vite. J’entame ma partie du relais contre un courant contraire alors que la nuit tombe et que la houle se lève. Après une heure des plus pénibles, je n’avais fait que … 600 mètres contre 3 km/h lors des entraînements précédents. Le pilote nous annonce désormais, le regard défait : « Votre traversée durera au minimum 20 heures ». Nous savons que nous ne sommes pas entraînés pour une telle performance. Toutefois, nous refusons de lâcher sans aller au bout de nos capacités. La houle grossit, le froid de la nuit nous tombe dessus comme une massue, le mal de mer fait ses premières victimes sur le bateau… Un malaise pesant se fait sentir. Il est minuit.
Le naufrage
La traversée continue. Nous sommes en pleine nuit. Le froid est intenable pour le nageur, et les mouvements de notre petit bateau de pêche le sont presque autant pour ceux qui sont sur le pont et qui attendent leur tour. Un membre de l’équipe regagne le bateau et laisse sa place au nageur suivant, qui plonge témérairement dans l’eau et dans le noir complet, continuant ainsi une bataille que nous menons désormais sourdement, sans plus réfléchir. Paralysé par le froid, le nageur sortant ne parvient plus à parler. Il est en hypothermie. Nous le réchauffons avec toute l’équipe, mais savons déjà qu’un nouveau relais sera impossible. Il faut désormais aller le plus loin possible avec le peu de temps qu’il nous reste.
Il est l’heure pour moi d’y retourner. Sans réfléchir, je quitte mon manteau, mon écharpe, mes vêtements, et enfile à nouveau maillot mouillé, bonnet et lunettes. Sur le bateau, le vacarme du vent et de la houle domine tout. On ne s’entend pas parler. La nuit est profonde, je plonge une dernière fois dans l’invisible. Le choc du froid me rattrape soudainement, et je prends malgré moi conscience de la situation dans laquelle je me retrouve à l’instant précis : presque nu, en plein milieu de la Mer du Nord, dans le noir le plus complet, emporté par les vagues. Aveuglement, bêtement, je nage. Un bras devant l’autre, nous avançons progressivement. Ici, le bruit insupportable de la tempête a disparu. Il est remplacé par un silence morbide et un froid oppressant. Quelques dizaines de minutes plus tard, je ne sens déjà plus mes pieds, et ne parviens pas à savoir s’ils tapent réellement contre l’eau.
Je pense que jamais je n’oublierai ce moment : la sensation d’avoir découvert une limite, ma limite. La prise de conscience que chaque minute de plus sera une minute volée à l’impossible. Lorsque la force physique disparaît, seule la fermeté mentale permet de continuer. Cette audace de l’esprit qui refuse la fin est une forme de folie. Mais rétrospectivement elle est aussi source d’espoir. Espoir, car on apprend qu’il est toujours possible d’aller plus loin. Que nos seules limites sont celles que nous nous imposons. Que lorsque nous jouons avec ces limites, nous les travaillons… C’est alors le champ des possibles qui s’ouvre à nous.
La fin
On ne se laisse pas impressionner par la Manche. Mais quand la nature s’impose à nous, il faut savoir la respecter. C’est donc avec humilité que nous avons interrompu cette première tentative, à quelques kilomètres seulement des côtes françaises. Les trois quart du chemin auront été parcourus. Nous tenterons à nouveau l’année prochaine avec un entraînement plus rigoureux encore, et une volonté toujours plus féroce.
Merci à tous pour votre soutien.
Francois RAYNAUD de FITTE
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