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22.04.2013

L’évêque et le séminariste (2/2)

« GENERATIONS CROISEES »

Deux anciens, que séparent une ou deux générations, mais qui ont choisi la même voie.

Erwan de la Villéon : entré à Stan en 1999, il quitte le Collège en 2004 après son Bac L.
Il étudie en classes préparatoires à Henri IV, où il effectue une Hypokhâne puis une Khâgne. Il intègre simultanément HEC et l’ENS (Histoire, puis Philo), avant d’entrer au séminaire. Après une année de discernement à Paris, il rejoint le séminaire de la Communauté Saint Martin en 2011.

Erwan, quel a été votre parcours au Collège Stanislas ? Quel souvenir en conservez-vous ?
Arrivé en septembre 1999 en classe de troisième, je suis sorti de Stan après avoir eu mon bac littéraire, en 2004. De ces quatre années, je garde l’impression générale d’avoir été chez moi dans cette maison, comme dans nul autre établissement avant ou après.
Lorsque je pense à Stan, donc, je ne me rappelle pas une chose en particulier, ni même un bâtiment plutôt qu’un autre mais un lieu familier.

Quelles sont pour vous les particularités de Stanislas dans sa manière _ d’enseigner et d’éduquer ?
Trois choses m’ont profondément marqué. Il faut bien les dire l’une après l’autre, mais c’est, je crois, parce qu’elles fonctionnent ensemble qu’elles sont si marquantes. Elles font ce qu’on pourrait appeler, au-delà des résultats, du bon esprit.

Il y a, tout d’abord, la solidité de l’enseignement scolaire reçu. De bons professeurs m’ont donné le goût de l’étude, le désir de connaître et, pour certains, l’amour de la Vérité. Ils m’ont aussi enseigné l’exigence. Cela peut paraître un brin ringard pour un jeune de dire cela, mais j’y crois, et je crois l’avoir reçu en partie à Stan.
Il y a, ensuite, le cadre spirituel, magnifique. La présence réelle du Seigneur en trois lieux différents de l’établissement, plusieurs chapelles et oratoires, la Messe plusieurs fois par jour ainsi que des prêtres présents, qu’on voit et qui nous connaissent, qui nous enseignent et peuvent nous confesser. Voilà un très beau trésor, et très rare. C’est là qu’est née ma vie spirituelle d’adulte, grâce à la fréquentation régulière des sacrements et d’un prêtre.
Enfin, troisième pilier de l’éducation qu’on reçoit à Stan, l’encadrement. C’est plutôt le pilier central, le lien, le liant. Je crois que c’est à eux qu’on doit le fait d’être éduqué, formé, et non pas seulement enseigné à Stan. A leur contact, j’ai appris la discipline ; mais j’ai aussi, plus profondément, reçu des repères pour me situer vis-à-vis d’une autorité, et pas du tout de manière uniquement négative (ce qu’on « ne peut/doit pas faire » devant elle) : j’ai ainsi rencontré des gens qui me faisaient a priori confiance, qui étaient exigeants et bienveillants, qui posaient sur leurs élèves un regard libre et libérant. Cela m’a donné une profonde envie de mériter leur estime et de grandir.

Avez-vous une ou des anecdotes à rapporter ? Des racontables ? …
Je me rappelle les chahuts en cours de dessin ; les batailles de pissettes dans les labos de physique-chimie ; quelques bonnes bastons mémorables, et des matchs interclasses dans lesquels on mettait tout notre cœur.
Et puis les énoooormes chahuts en cours de latin, en seconde : le professeur était tout jeune et sympathique, et nous pas franchement latinistes.

Qu’avez-vous fait depuis votre Terminale ?
Bac littéraire. Hypo/Khâgne. Ecole Normale Supérieure en Histoire puis Philo, et HEC. Puis séminaire : une année de discernement à Paris, et maintenant Communauté St Martin.
J’ai passé deux ans excellents sur le campus d’HEC, à beaucoup rire et peu bosser (j’avais pas mal donné auparavant), ai aimé continuer à faire de la recherche (même si ce n’était pas à un gros niveau) avec Normale Sup, puis suis allé faire des stages : en stratégie financière chez Lafarge, et dans un trading en Argentine. J’ai ensuite travaillé pour cette dernière entreprise, notamment pour une mission commerciale en Afrique. Puis, je suis allé passé 4 mois chez Points Cœur (à Buenos Aires), belle œuvre religieuse de compassion au milieu des bidonvilles, avant de revenir en France pour entrer au séminaire en septembre 2010.

Que vous ont apporté vos études supérieures ?
Mes deux années de prépa ont été extraordinairement intenses, j’y ai travaillé comme nulle part ailleurs. Dans la ligne de ce que j’avais reçu au lycée, mais de manière accélérée, j’ai appris à fréquenter la culture classique, à découvrir ce qu’ont pensé de grandes intelligences avant nous, et à m’en imprégner. Côté humain, ces deux années m’ont montré en négatif combien l’encadrement reçu à Stan était riche : il n’y avait rien de ce à quoi j’avais goûté d’atmosphère, d’esprit, de projet d’éducation, de formation.
Réussir Normale et HEC m’a ouvert les portes de deux mondes que j’ai aimés côtoyer ensemble. Ne voulant a priori pas enseigner, j’étais content de me former à un métier concret dans le domaine économique ; pour autant, j’étais ravi de continuer à me former les méninges, et comptait bien continuer longtemps sur ce double rythme.

Quelles sont les figures qui guident votre vie ?
JESUS, qui est mon Seigneur et mon Maitre. J’essaie (souvent un peu péniblement et sans succès) de Lui ressembler.
Marie, notre Mère du Ciel. Saint Pierre, pour le naturel et la fougue avec laquelle il aime JESUS et confesse sa foi, pour son humilité aussi. Saint Paul pour son énergie immense, sa foi et son culot. Saint Ignace de Loyola, un guerrier du Christ, toute une virilité - énergie et intelligence - au service du Christ. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, la patronne du désir. Pas mal d’autres saints. Attention : « saint » n’est pas une ‘race’ de gens particulière : ce sont tous des figures très différentes les unes des autres.
Surcouf, le corsaire, un intrépide. Tabarly.
Des maitres spirituels et intellectuels : le Père Marie-Dominique Philippe (le fondateur de la cté St Jean), le cardinal Lustiger. Bernanos, que j’aimerais connaître davantage. Spaemann, que je lis en ce moment.
Les prêtres qui m’ont marqué : l’abbé Seguin, le Père Steeves à HEC, l’abbé Leproux à EVEN, don Louis Hervé, don Pascal André et don Paul à la Communauté.

Qu’est ce que la vocation sacerdotale ?
Suivre JESUS qui appelle certains hommes à tout laisser pour Le louer, Le servir et L’honorer dans une mission particulière : celle d’annoncer l’Evangile du Salut, de dire aux hommes que DIEU s’est fait homme pour nous diviniser. En enseignant, en célébrant les sacrements, en dirigeant le peuple de Dieu, et en le poussant à être lui-même missionnaire. Ça, c’est l’aspect missionnaire, apostolique.
Côté intérieur, c’est une consécration, au sens d’une proximité particulière avec le Seigneur, nourrie dans la prière. Un amour particulier, très dense, qui saisit tout un homme (ou plutôt : on apprend peu à peu à être saisi).

Quelles ont été les étapes de votre discernement ?
A Stan, j’ai pu aller à la messe en semaine, me confesser régulièrement, et avoir un père spirituel ce fut la première étape : découverte de la vie sacramentelle, et de l’accompagnement.
La deuxième étape avec mon aumônier et père spi d’HEC, avancée dans le monde de l’oraison. Au début 10 minutes, puis chaque jour un peu plus. Connaître Jésus Christ et l’aimer comme une personne.
La troisième étape : le groupe EVEN à Paris : découverte de la Parole de Dieu dans tout ce qu’elle a de fort, de prenant, d’exigeant et de grand. J’ai alors compris qu’être consacré n’est pas un truc de piété, et qu’on peut être rassasié par une vie avec Dieu.
La quatrième étape : un an à l’étranger, pas mal de solitude, 4 mois chez Points Cœur avec l’adoration au cœur de la vie.
La cinquième étape : à la fin d’une année de discernement à Paris (maison saint Augustin), je me suis senti appelé à la vie commune : je suis donc entré à la Communauté Saint Martin.

Qu’est ce que la Communauté Saint Martin ? Pourquoi ce choix ?
Les deux particularités de la Communauté Saint Martin : la vie commune (les prêtres sont toujours au moins trois par trois dans les lieux qu’ils habitent) et la disponibilité au service de la Mission.
J’ai beaucoup aimé mon année de discernement à Paris, et ne suis pas parti parce que j’étais fâché avec ce diocèse, au contraire : c’est là que j’ai presque tout reçu. En revanche, je me sentais appelé à partir de mes endroits familiers, à être déraciné pour n’être plus qu’à Jésus Christ et à Sa mission. C’est difficile, mais c’est ce que je cherchais. Je voulais en outre un esprit de famille, et un zèle débordant pour annoncer l’Evangile. Je suis entré à la Communauté sans être très convaincu. En fait, j’ai trouvé ce que je venais chercher, et encore bien d’autres trésors, selon une de nos devise : « prendre Dieu au sérieux sans se prendre au sérieux ».

Pourriez-vous décrire la vie d’un séminariste ?
C’est une vie à la fois sobre, exigeante et très joyeuse.
Sobre : au quotidien, c’est beaucoup de temps à prier, et à étudier. Le rythme est très réglé, il y a peu d’événements, de choses extraordinaires. On apprend au contraire à vivre l’Amour de Dieu, l’extraordinaire Amour de Dieu, dans le déroulement apparemment banal de la vie. Le cadre, le rythme, rien n’est très « fun », et pourtant c’est là que Dieu nous attend.
Exigeant : on essaie de prendre de la distance (ça ne veut pas dire couper) avec nos familles, nos amis, etc, pour être plus disponible pour la prière. C’est quelquefois dur. La vie fraternelle est source de joie mais aussi de combats. Quand un frère avec qui vous vivez toute la journée vous énerve, c’est exigeant, difficile, de choisir de l’aimer, de vouloir faire des efforts, de mendier la force de Dieu dans la prière, de demander pardon.
Joyeux : c’est ce qui frappe les gens qui viennent nous rendre visite. C’est vrai qu’on rit beaucoup. Bien plus : il règne une joie fondée sur notre désir commun de suivre le Christ et de s’aimer entre nous a priori. De cette bienveillance mutuelle découlent confiance en soi et envie de donner de soi-même aux frères.

Quels conseils pourriez-vous donner aux jeunes élèves qui vous liront ?
Sur Stan : Profitez de cette école, surtout de l’esprit qui y règne ; sérieusement, c’est du trésor. Remerciez vos parents de vous avoir mis là.

Sur la vie en général : Découvrez Jésus, aimez-le et faites-le aimer. La question de la vie d’un homme, de la vie de tout homme, c’est d’être heureux. C’est tout. Il n’y a pas d’autre raison de vivre que de chercher le bonheur. Et la réponse à cette question, c’est Dieu lui-même. Jésus s’est fait homme pour nous diviniser. Il nous donne sa vie par son Eglise.

Sur votre vie relationnelle : préservez votre cœur et votre corps. L’amour est trop beau et trop grand pour être gâché. Que vous ayez des sentiments, tant mieux, ça veut dire que votre cœur fonctionne normalement. Mais il y a dans le vrai amour plus que des sentiments : il y a un engagement, et c’est ça qui vous rendra heureux. Alors préparez-vous à vous engager vraiment.


L’Association des Anciens a choisi pour thème cette année : « l’engagement du chrétien dans la vie publique » ; que vous inspire ce sujet ? quels sont, pour vous, les défis prioritaires à relever dans nos sociétés ? Comment le faire chrétiennement ?

Les chrétiens ont deux rôles à jouer : le premier est, comme depuis toujours, témoigner de leur foi. Ne pas craindre les gens qui caricaturent la foi de l’Eglise : ce n’est pas ce qu’ils en disent, un truc ringard, moralisateur, etc. C’est la vie de Dieu donnée aux hommes. Pour ne pas se sentir agressé par les attaques du monde (et donc fuir/se taire/agresser en contre-attaquant), il faut : 1- connaître le contenu de la foi catholique ; 2- avoir une relation personnelle avec le Christ. Alors, alors seulement, on sait ce qu’on annonce, on l’annonce sans crainte, sans agressivité mais sans non plus avoir peur de parler. J’insiste : on ne témoigne que de ce qu’on connaît et qu’on aime ; il faut donc se former, et vouloir s’engager aux côtés de Jésus.

Deuxième rôle, relativement nouveau : il faut défendre et reconstruire l’identité humaine. Les gens ont tellement perdu le sens des réalités, la culture ambiante est tellement relativiste « à chacun sa vérité », que la vérité la plus évidente au sujet de l’homme ou de la femme, de la famille, de la mort et de la naissance naturelles, etc, sont contestées. Et les gens ne savent pas répondre à ces attaques suicidaires portées par peu de militants, mais adroits et qui diffusent leur pensée. Alors il faut être rusés comme ces gens-là, pour gagner contre eux (Jésus nous le dit : soyez candides comme des colombes et rusés comme des serpents ; pourquoi les fils de la lumière seraient moins doués que les fils de ce monde ? »). Ce n’est pas, comme ils l’insinuent, pour faire triompher nos intérêts, mais pour que l’humanité ne se suicide pas, c’est pour le bien de tous. Ce n’est pas une responsabilité exclusivement catholique, mais il n’y a plus guère que nous (d’autres aussi, ponctuellement, sur certains sujets) pour les défendre. Dans ce genre de domaine, il faut tenir un discours uniquement rationnel, et non pas de foi, je crois. C’est à la raison des gens qu’il faut parler (même si on n’a pas à se cacher d’être chrétien).


Propos recueillis par Xavier LE SAINT (promotion 2004)
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