ABBÉ JEAN COUPVENT DES GRAVIERS (1901-1965)
Peu de jeunes anciens élèves connaissent l’Abbé Jean COUPVENT DES GRAVIERS qui fut pourtant une des figures marquantes de Stanislas. À l’occasion du cinquantenaire de sa mort, nous voulons commémorer la mémoire de celui qui fut aumônier du Collège, puis professeur et enfin directeur adjoint de 1964 à 1965. En 2010, à titre posthume, il a reçu le titre de « Gardien de la Vie ». L’abbé Jean des Graviers, familièrement appelé « des Cailloux » par ses élèves ou « Crin Blanc » compte tenu de sa haute stature, était un homme dont la vie fut entièrement dédiée au service des autres, sous-tendue par une foi qui a guidé toute son existence. Nous rappelons à cette occasion quelques souvenirs familiaux et d’anciens élèves ainsi que des témoignages rassemblés par « Les Enfants de l’Oflag XC » concernant les conditions exemplaires de sa captivité dont beaucoup n’ont eu connaissance qu’après sa mort.
Jean des Graviers naît en 1901 dans une famille qui attache une grande importance à l’étude. Élève du collège Stanislas comme ses quatre frères, où il rentre en 1912, il suit une scolarité brillante et en conserve toute sa vie une curiosité intellectuelle exceptionnelle qui le conduit notamment à la pratique de sept langues (il disait volontiers que c’était de plus en plus facile). C’est dans un environnement familial où la foi et la façon dont elle doit guider la vie de chacun vont de soi, qu’il a progressivement l’intuition de sa vocation religieuse, et est ordonné prêtre en 1926. Après son ordination, il se rend à Rome afin de poursuivre ses études supérieures dans différentes universités pontificales. Chapelain de l’église Saint-Louis des Français, il obtient les titres de docteur de l’Institut pontifical d’archéologie et celui de docteur en droit canonique. Il sera plus tard, et pendant vingt ans, professeur de droit canon à l’Institut catholique de Paris et formera des générations d’étudiants qui apprécieront sa clarté et la finesse de ses analyses. En 1928, Mgr Beaussart, directeur de Stanislas, lui propose de revenir à Paris pour devenir aumônier du Collège ; il accepte et le restera toute sa vie - hormis pendant sa période de captivité - pour y exercer ses talents de pédagogue auprès des élèves en étant successivement, mais le plus souvent concomitamment, aumônier, animateur de la Conférence Saint-Vincent-de-Paul et de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC), responsable de la préparation militaire, enseignant (en philosophie, histoire, lettres, allemand), rédacteur en chef de L’Écho de Stan , directeur des études puis directeur adjoint, et ceci jusqu’à son hospitalisation quelques semaines avant sa mort. Tous ceux qui l’ont connu ont été impressionnés par cette énergie formidable qui le conduit à accepter de faire ce qui doit l’être et de le faire bien, mais aussi par sa gentillesse attentive, sa courtoisie et son humour. Ses objectifs sont d’éveiller les intelligences et former des chrétiens avertis. Il décrit ce que doit selon lui, transmettre l’école : « Traditions de vie chrétienne sérieuse, traditions d’un libéralisme respectueux des jeunes personnalités qu’il faut non pas contraindre mais aider à s’épanouir selon leur vocation propre, traditions de travail acharné, traditions de discipline, de justice, de bonté, de bonne éducation et, pourquoi pas, d’élégance. » Il donne à ses élèves l’exemple du goût du travail, du souci de la vérité, du sens critique et de la liberté d’esprit ; cette école d’exigence - systématiquement rappelée dans chaque homélie se souvient un ancien - marque définitivement un certain nombre d’entre eux qui témoigneront des années plus tard qu’elle aura beaucoup contribué à influencer la façon de mener leur vie. Son discernement et sa lucidité sur le cours de l’histoire le conduisent dès 1937 - se souvient aussi l’un d’entre eux – à consacrer toute l’heure du cours d’instruction religieuse de la classe de première, à alerter sur le péril nazi… Il n’hésite pas surtout à les exhorter à la Foi qui, de toute évidence, est pour lui la chose la plus importante. Un passage d’une lettre écrite en janvier 1965, quelques semaines avant sa mort, en réponse à celle que lui avait envoyée ses élèves de première le sachant très malade, témoigne : « …Mais il faut penser à votre âme, quelques minutes, quelques vraies minutes chaque jour. À votre âme dans ses rapports avec Dieu, à votre âme qui doit être la vraie gouvernante de votre vie, de toutes vos activités, à votre âme qu’étoufferaient si volontiers l’agitation, les lectures, le bruit, les soucis utiles et ceux qui le sont moins. » Il faut aussi parler de son courage moral et de son sens de l’audace qui lui ont permis d’aller jusqu’au bout de son devoir. Au moment de la déclaration de la seconde Guerre mondiale, il est mobilisé comme capitaine, et est fait prisonnier en 1940. Après un premier camp pour officiers, il est envoyé à l’Oflag IV, forteresse de Colditz, camp disciplinaire en Saxe, puis en mai 1942 à l’Oflag XC à Lübeck, camp de représailles. Dès Colditz, Jean des Graviers demande avec insistance aux Allemands à partager le sort de ses camarades juifs et à résider dans leur baraquement. C’est ainsi qu’il vit jusqu’en mai 1945, en compagnie, entre autres, d’Alain et Élie de Rothschild, Robert Blum (fils de Léon), Oreste Rosenfeld et de nombreux autres. Son choix a un double but : il veut à la fois donner aux Allemands une leçon d’humanisme en tant qu’homme libre et prêtre, et soutenir ses amis juifs en leur assurant qu’ils ne sont pas seuls. Lorsqu’on lui décerne en 2010 le titre de gardien de la vie, le grand rabbin Haïm Korsia indique : « Il a dit à vos pères - je partage votre histoire - ce qui signifiait : je suis le gardien de mes frères ». Ses camarades de détention lui voueront en retour une amitié et un attachement indéfectibles. Un de ses anciens camarades de captivité, Ernest Weill, écrit : « J’ai connu Jean des Graviers dans ce camp et nous avons sympathisé très rapidement. Physiquement grand, très racé, il en imposait dans son uniforme d’officier d’état-major, toujours impeccable… Doué d’une intelligence percutante, alliant une bonté sans limite à un caractère explosif qu’il arrivait à dominer, il était capable de défendre les causes qu’il croyait justes, jusqu’à l’extrême. Jean était un homme d’Église, mais avant tout un grand humaniste…. Après la Libération, j’ai appris qu’il y avait eu réellement ordre de détruire les officiers du camp, mais que l’arrêt des hostilités avait empêché la mise en œuvre de cet ordre. Si tel avait été le cas, Jean, sans regret, se serait sacrifié pour nous. » Aujourd’hui comme alors, une personnalité comme la sienne, fidèle en toutes circonstances à ses principes - courage, humanité, souci de la justice, exigence intellectuelle - et guidée par la Foi chrétienne, reste un vrai exemple pour tous.
Sabine VANDIER Nièce de l’Abbé Jean des Graviers Administrateur de la Fondation Stanislas Pour l’Éducation